Sam a faim. Sam est fatigué. Sam est de mauvaise humeur. Il a ces vilaines poches sous les yeux qui viennent témoigner de sa fatigue du moment. Près de vingt-quatre heures après le début de sa garde, l’interne peut enfin rentrer chez lui et cette simple idée n’est pas pour lui déplaire. Parce que le garçon est crevé, mort, capoute. Un carambolage massif en périphérie de la ville a eu raison de ses dernières forces. Il n’a perdu que deux de ses dix patients au cours des dernières heures mais l’argument n’est pas pour le réconforter. Deux vies foutues et tant d’autres gâchées à jamais. Comment se réjouir de ça ? Dans les vestiaires, Sam referme son casier, y laissant problèmes et inquiétudes, et adresse un rapide au revoir à ses collègues de misère. Il n’a qu’une envie à cet instant, se délecter de la chaleur d’une bonne douche et dormir jusqu’à ce que la fin du monde ne vienne l’emporter dans un sommeil éternel. Il arpente en sens inverse les longs couloirs de l’hôpital lorsqu’une voix l’interrompt dans sa marche. S’il n’est pas encore habitué à l’appellation docteur, c’est son nom qui le fait retourner sur ses pas et passer sa tête vers une salle en retrait. En son centre, un homme que Sam n’a aucun mal à identifier. Danny Tanner, le frère d’un ancien patient mais également son frère. Sam s’était refusé d’y croire au départ. Ben Tanner, il avait cru à un homonyme puis Danny et Nick suivirent et son cauchemar commença. Contrairement à eux, Sam connait l’identité de ses frères biologiques mais l’idée de les rencontrer le dérange toujours, même dix ans après. Jurant contre son manque de chance, Sam avance vers l’homme. « Monsieur Tanner. » le salue t-il simplement en y joignant un hochement de tête. Danny reprend sur sa lancée et s’arrête brutalement. Sam voit son regard se concentrer sur le bas de son cou. Plusieurs secondes passent sans que Sam ne comprenne puis l’homme lève un doigt dans sa direction et parle. Les mots sortent mais leur sens échappe toujours à Sam alors le jeune blond baisse la tête et comprend subitement. Merde. Son pendentif. Le même laissé par sa mère comme unique témoin d’un bref passé dont Sam n’a aucun souvenir. L’accessoire n’a aucune valeur monétaire et représente simplement la première lettre du prénom de sa mère biologique. Son nom complet y est inscrit au verso. Malgré toute la bonne volonté de Sam, les années l’ont usé mais le jeune homme l’a toujours porté au cou. Il réfute l’idée d’y porter une quelconque importance sentimentale et se justifie tant bien que mal de n’y voir qu’un bijou qu’il a pris l’habitude de porter avec les années. Une vague de panique l’assaille lorsqu’il comprend que Danny peut l’avoir reconnu. Sam reste interdit, ne sachant ni quoi dire ni quoi faire. Puis la surprise laisse place à la colère et il balaye d’un revers de main le doigt de ce faux frère. « En quoi ça vous regarde ? » Il laisse sa colère s’exprimer mais le regrette presque immédiatement. Sa foutue impulsivité n’est pas pour l’aider. Un simple « je l’ai acheté en magasin » l’aurait sauvé mais non. Son regard croise celui de Danny et Sam comprend qu’il est temps de partir. « Mauvaise journée, excusez-moi. » Il ne laisse pas le temps à l’autre blond de réagir qu’il s’engouffre déjà vers la porte de sortie. Il veut aller loin, le plus loin possible. Loin de cet hôpital, loin de cette pièce, loin de ce frère.

Il pense naïvement s’en sortir. Un instant, il espère que Danny ne le rattrapera pas, qu’il laissera tomber le souvenir du pendentif et qu’il n’aura pas à se justifier. Car il n’en a pas la force, pas après la journée de boulot qu’il s’est tapé. Sam ne souhaite qu’une chose, rentrer chez lui et se cacher sous ses draps en attendant que les beaux jours reviennent. Il maudit le ciel que son chemin ait croisé celui d’un des trois hommes qu’il ne sera pas prêt à affronter. Il veut juste rentrer chez lui mais Danny ne l’entend pas de cette oreille. Sam n’a pas le temps de s’engouffrer dans l’ascenseur de la liberté que l’homme arrive et de ses deux mains bloque la fermeture des portes. Merde. N’a t-il donc pas le droit à deux secondes de quiétude ? Son regard trouve celui de son frère et les deux hommes s’observent en chien de faïence. Un instant passe puis un second avant que Danny n’ouvre une nouvelle fois la bouche pour confirmer les craintes de Sam. Il a reconnu le pendentif et ses paroles sont affirmatives, il appartient à sa mère. « Le prénom de votre mère commence par un e, je suis ravi de l’apprendre. Maintenant, dégagez de là. » Son ton devient involontairement agressif. Il n’y peut rien, il ne le contrôle pas. Pas plus qu’il n’a le contrôle sur la rage le consumant depuis tant d’années. De nouveau, il espère voir ce frère disparaître. S’excuser de l’avoir importuner et retourner sur ses pas comme tout être humain sensé. Mais son regard en dit long sur la suite des évènements. Sam sait qu’il ne reculera pas. Le souvenir est réveillé, trop présent pour être effacer sur une simple demande. L’interne laisse échapper un soupire tandis que Danny reprend la parole. Son prénom ? Pour la première fois, il regrette que ses parents adoptifs ne l’aient pas changé. Ça aurait pourtant été si simple. Ils ont bien changé son nom, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Sam sent son dos se cogner contre le fond de l’ascenseur. Il n’a nulle part où se cacher, il doit y faire face et mentir car c’est là le seul argument qu’il ait. « Mon prénom ne vous intéresse pas. » Non, hors de question qu’il craque. Ses frères ne sauront jamais qui il est vraiment. Ils vivront dans l’ignorance d’avoir un jour croisé le plus jeune des frères Tanner. Ils ne sauront jamais parce que Sam ne leur dirait pas. Il s’y refuse avec la même ardeur qu’il ressentit dix ans plus tôt lorsque la vérité lui avait été révélée. Il toise l’homme du regard, le défiant de ne pas bouger. « Ecoutez, ce truc n’a aucune importance. » Dit-il en portant sa main à l’objet autour de son cou. « Il n’en a pas pour moi et il en a encore moins pour vous. Ce n’est pas celui de votre mère alors dégagez. Maintenant. » Il ne répond plus de rien et sa colère l’empêche de raisonner correctement. Sam se contente de regarder l’adversaire qui ne semble pas vouloir bouger. Les portes tentent de se fermer à nouveau mais Danny les en empêchent de plus bel.