tu finis le job fin de matinée. t'as écopé du service de nuit et t'es épuisé. mais ton chef de cuisine t'a félicité et t'a même donné la moitié des pourboires que le restau' s'est fait durant ton service. tu souris en coin, pas peu fier du peu de dollars que tu ramasses et caches dans ta poche. c'est toujours ça de pris, que tu te dis, alors que déjà, tu enfiles ta veste et quitte les locaux par la porte de service. tu prends pas le temps de t'en griller une, la matinée est déjà bien trop entamée et tu sais que tu n'arriveras pas à voir ta mère si tu ne te dépêches pas de prendre un bus pour te rendre chez elle, chez eux. les tiens, ton clan. ta famille, ton sang. tu gardes les yeux ouverts comme tu peux durant le trajet, payant le ticket grâce aux pourboires reçus plus tôt. t'as touché ton salaire et, comme chaque mois, tu viens retrouver ta mère pour lui donner la moitié de ce dernier. ça aide ta famille, même si ça te pénalise légèrement. quand le bus s'arrête enfin, dernier arrêt, tu descends de ce dernier. un rapide coup d'oeil à ta montre et tu sais que tu l'as manquée. ta mère est déjà partie pour le culte de treize heures. tu soupires, tu passes le porche et ouvres la porte. "c'est moi." tu dis assez fort pour qu'on t'entende. tu te doutes bien que ton père est au job mais sait-on jamais, tes frangins ou ta soeur pourraient être ici. alors discrètement, tu te rends en cuisine où tu verses de l'eau dans une casserole. puisqu'il va te falloir attendre le retour de ta mère, autant que tu en profites pour te faire un café.

t'as pas cours aujourd'hui, prof absent, grasse matinée garantie. tu sais que la famille au grand complet est en train de s'activer alors que tu glandes depuis neuf heures du matin dans ton lit. ça te fait du bien de temps en temps. puis t'as toute la journée, tu ne sors que ce soir, avec lui. il faut que tu trouves une excuse pour pouvoir t’éclipser de la maison sans que ta mère ne s'amuse à te poser tout un tas de questions auxquelles tu n'auras clairement pas envie de répondre. ton réveil a sonné de nombreuses fois au court de la matinée mais tu l'as repoussé à chaque fois jusqu'à finalement l'éteindre. tu regardes l'heure, pas loin d'une heure. tu te décides enfin à te lever pour passer un gilet en maille par dessus ton pyjama. tu sors de ta chambre en soupirant, prête à commencer la journée. tu vas dans la cuisine, tu sursautes, tu ne l'avais pas entendu. "mon dieu faheed !" tu t'exclames. t'as eu peur, tu ne t'attendais pas à le voir, puis t'as plus tellement l'habitude de le voir ici, dans la maison, t'étais même persuadée d'être seule. tu ne sais jamais où sont tes frères, au travail, en cours, tu ne sais plus et ta mère, elle est probablement partie faire son devoir de croyante. elle t'a proposé de venir, mais t'as fais semblant de dormir, t'es plus tellement sûre d'avoir envie de ce genre de chose... "j'en veux aussi." tu dis en regardant sa préparation. toi, tu cherches déjà dans les placards quelque chose à te mettre sous la dent. 

Fin de matinée. J’éteins l’ordi que j’ai réussi à m’acheter en solde, après des mois d’économie et de petits boulots pourris. Je savais que j’aurais besoin d’un ordi à la fac et je savais aussi que je devrais m’y prendre tôt si je voulais pouvoir m’en offrir un car mes parents n’ont pas les moyens. Je retire mes lunettes de vue et masse légèrement les coins de mon nez où elles reposaient quelques instants plus tôt. J’aurais pu dormir, jouer à la console ou bien aller me faire un tour mais à la place j’ai préféré prendre de l’avance dans mes devoirs car cet après-midi j’ai cours et, comme à chaque fois, je montrais que j’existe et que je suis le meilleur. Je veux qu’on me remarque, non pas par pur narcissisme, simplement car je veux réussir dans la vie et que, pour réussir dans le droit, il faut être vu. J’enfile un jean  et un pull noir avec un col en V, un rapide coup d’œil dans le miroir et je sais que je suis fin prêt pour aller en cours même si j’ai encore un peu de temps devant moi. J’entends du bruit, je me demande qui c’est. Saïma ? Peut-être, il me semble qu’elle n’a pas cours aujourd’hui. Zaid ? Non, je crois qu’il est parti au boulot ce matin. Je sors de ma chambre afin d’élucider le mystère, me dirige vers la cuisine et tomber nez-à-nez avec mon frère ainé. Je lui donne une tape sur l’épaule. « Mais c’est le vieux de la famille qui revient chez papa et maman ! On te manque tant que ça frérot ? » Au fond je l’envie mon frère, lui qui a enfin prit son indépendance, qui n’est plus obligé de rendre des comptes à qui que ce soit quand il sort ou quand il n’a pas forcément envie de manger. Je me dirige vers ma sœur et la prend dans mes bras en l’embrassant sur le front. « Salut mocheté. » Je plaisante bien sûr, ma sœur c’est la plus belle, c’est la princesse de la famille, notre étoile. Je m’installe à la table de la cuisine, le menton entre mes mains. « Personne n’a accompagné maman à la prière ? »

le silence est pesant, t'aimes pas ça. mais tu peux rien y changer, de toute manière. t'as choisi seul de t'exiler de la famille, du cocon que vous formiez. t'as choisi seul d'habiter plus loin, de vivre tes propres expériences et d'agir en adulte. t'es ici de manière assez régulière néanmoins pour te souvenir que ta famille reste ce qui compte le plus à tes yeux. alors ouais, tu poses l'enveloppe contenant l'argent sur le comptoir et tu te prépares un café le plus normalement du monde. parce qu'ici, c'est aussi chez toi et ça le restera toute ta vie. "mon dieu faheed !" tu la devines qui sursaute lorsque tu te retournes. ta soeur, ce petit rayon de soleil, cette princesse au sein de votre famille. seule bouffée d'oxygène pour ta mère qui se sentait seule, entourée de tous ces hommes constamment. alors tu souris brièvement "c'est moi." tu ris légèrement alors qu'elle s'affaire déjà à ouvrir les placards. "j'en veux aussi." tu acquiesces d'un mouvement de tête sans répondre. du mouvement, encore, te sors de tes pensées. t'as pas besoin de tourner le visage pour savoir qu'il s'agit de l'un des jumeaux. étant donné que ton père est au job et que ta mère est culte, il ne reste plus que tes deux frères pour intervenir. ça ne manque pas, sa main qui frappe ton épaule et son sourire en coin. "mais c’est le vieux de la famille qui revient chez papa et maman ! on te manque tant que ça frérot ?" tu ne réponds pas tout de suite, te contentant d'admirer l'allure qu'il a, ton petit frère. des deux jumeaux, c'est celui sur lequel la famille toute entière repose tous les espoirs. zian, il est studieux et volontaire, ambitieux même. il fera de grandes choses, c'est bien pour ça que t'économises et que tu aides tes vieux. t'aimerais qu'au moins l'un d'entre vous s'en sorte. tu souris en coin "je suis venu apporter la moitié du loyer." tu réponds banalement. c'est un secret pour personne, ici, que tu continues de participer aux frais de la maison même si tu n'y habites plus. c'est ton choix, parce que ta mère a été licenciée et qu'à son âge, retrouver du job n'est pas donné à tout le monde. "et vous me manquiez aussi." tu ajoutes en te retournant vers ta casserole alors que déjà, zian se dirige vers saïma. ça te fait plaisir de les entendre, même se chamailler. ça te rappelle l'époque où t'étais encore ce gosse qui vivait avec la famille. l'eau bout, tu en verses dans deux verres quand t'entends zian reprendre "personne n’a accompagné maman à la prière ?" tu te tournes vers eux, en haussant un sourcil. "je rentre du job à l'instant... saïma ?" tu la regardes, inquiet de voir qu'elle n'est pas en cours, ni au culte, brusquement. comme si tu venais de t'en rendre compte. "t'es pas sensée être en cours ?" tu t'interroges, croisant les bras sur ta poitrine. le grand frère, voilà ce que tu es, ce que tu as toujours été. tu les surveilles, avec tendresse et affection, mais parfois avec trop d'égards. presque plus sévère que tes parents, eux-mêmes.

Zaid passe la porte du magasin de skate dans lequel il travaille. Dans une démarche rapide, il se dirige vers son domicile qui se trouve être celui de ses parents. Le jeune homme n’a toujours pas quitté le domicile familial et plusieurs raisons l’expliquent. Il enfonce les mains dans son manteau, l’hiver new-yorkais est rude ce qui n’est pas fait pour lui plaire. Il presse le pas afin d’arriver à destination aussi vite que possible. Heureusement pour lui, son lieu de travail se trouve à seulement quinze/vingt minutes de marche du foyer Khalil. Cela lui permet de rentrer manger tous les midis plutôt que de manger un pauvre repas dans le magasin. Il préfère sans fois la cuisine de sa mère.
Il entre sa clef dans la serrure mais fronce les sourcils en voyant que la porte est déjà verrouillée. Le jeune brun hausse les épaules. Après tout, avec tous les êtres humains qui vivent dans cette maison, ce n’est pas si étonnant. Il se débarrasse de son manteau et de son écharpe qu’ils crochent au porte manteau. Puis, il enlève ses chaussures. La mère Khalil a horreur que l’on marche à l’intérieur avec les chaussures.
Zaid prend directement la direction de la cuisine. Il sait qu’il a le temps, pas besoin de se presser mais il a une faim de loup, comme bien souvent. Lorsqu’il arrive dans la pièce concernée, il tombe sur trois autres têtes brunes : Saïma, Faheed et Zian ou autrement dit, tous ses frères et sœurs. Machinalement, il sourit. « Il y a une réunion et on ne m’a pas prévenu ? » Il pose un baiser sur le front de sa petite sœur et étreint brièvement ses frères. Zaid a vu que du café se prépare mais cela ne l’intéresse pas. « Vous m’excusez, c’est plutôt l’heure du déjeuner pour moi. » Il se doute que Saïma est à peine levée et que Faheed sort du travail. C’est aussi ça être un Khalil : vivre en décalé mais réussir à se voir régulièrement. Il ouvre le frigo à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent. Son choix se porte vite sur les restes du repas d’hiver : du poulet accompagné de pommes de terre. Il préchauffe le four parce que bien qu’il pourrait faire réchauffer ceci au micro-ondes, il préfère le faire au four.
« Personne n’a accompagné maman à la prière ? » Il tourne la tête vers son frère jumeau, auteur de cette question puis il regarde Faheed lorsque celui-ci répond. « Je rentre du job à l'instant. » Il hoche la tête. « Idem. » Depuis qu’il est passé employé à plein temps, il parvient difficilement à se libérer pour accompagner leur mère au culte. Au fond de lui, c’est un soulagement. Il n’a pas besoin de rappels pour savoir qu’il est croyant. « Saïma ? T'es pas censée être en cours ? » Là, il se dit que sa sœur a plutôt intérêt à avoir une bonne réponse à cette question. Le four est prêt, il y place le plat et le referme. Après ça, il s’installe à la table de la cuisine, à côté de son jumeau. La nourriture sera prête dans une dizaine de minutes et il n’a pas envie d’attendre débout. Il a passé toute sa matinée debout.

"mais c’est le vieux de la famille qui revient chez papa et maman ! on te manque tant que ça frérot ?" tu tournes la tête, t'étais tellement sûre d'être seule, t'es presque déçue. "je suis venu apporter la moitié du loyer. et vous me manquiez aussi." tu souris, il te manque aussi faheed, plus qu'il ne pourrait le croire. tu serres zian contre toi avec enthousiasme. "salut mocheté." puis tu le repousses en levant les yeux au ciel. "c'est toi le moche." tu réponds sans le penser. tes frères sont les plus beaux du monde. personne ne pourrait oser te dire le contraire. t'entends du bruit dans l'entrée, des pas s'approcher. "il y a une réunion et on ne m’a pas prévenu ?" toi non plus t'étais pas prévenue. les trois d'un coup, ça fait bien un moment que ça n'est pas arrivé, t'as beaucoup de mal à en croire tes yeux quand zaid te salue aussi. "vous m’excusez, c’est plutôt l’heure du déjeuner pour moi." tu hausses des épaules. pas de chance. tu penses à ton lit tout à coup. il te manque lui aussi. surtout quand tu les vois tout les trois s'affairer et que tu caches des choses à l’entièreté de la famille... "personne n’a accompagné maman à la prière ?" tu tournes la tête alors qu'il vous regarde tour à tour. la réponse parait plutôt évidente, vous êtes tous là, dans la cuisine, donc personne n'est autre part... surtout avec avec votre mère. "je rentre du job à l'instant... saïma ? t'es pas sensée être en cours ?" l'attention se porte sur toi, trois paires d'yeux fixés sur toi attendant une bonne raison expliquant ta présence ici plutôt que sur les bancs de la fac. "non. mon prof est absent." pure vérité. t'es presque surprise toi-même d'avoir une excuse valable. mais t'aurais pu accompagner ta mère du coup... t'aurais sans doute dû mentir sur la fac à la place en fait. "elle m'a pas réveillé !" tu mens avant que l'un d'entre eux ne te reproche de ne pas être allée faire ton devoir de parfaite petite croyante. t'as ignoré les coups de ta mère frappés à la porte de ta chambre pour t'interroger sur le sens de tout ça. la religion, tes croyance. t'es de plus en plus perdue et aller prier dans une salle avec une poignée de croyants ne t'aide pas plus à te frayer un chemin vers toi-même.